La République Démocratique du Congo, géant minier africain, est devenue le théâtre d'une confrontation spectaculaire entre deux personnalités aux trajectoires remarquables. Moïse Katumbi, figure de l'opposition politique congolaise, et Pascal Beveraggi, homme d'affaires français aux multiples ramifications en Afrique, s'affrontent dans une bataille judiciaire et stratégique qui dépasse largement les frontières congolaises. Au cœur de ce combat : NB Mining, anciennement connue sous le nom de MCK, une entreprise de services miniers dont le contrôle représente bien plus qu'un simple enjeu commercial. Cette lutte révèle les tensions qui traversent le secteur minier africain, entre ambitions politiques, stratégies financières internationales et souveraineté économique nationale.
Les protagonistes de la bataille : Moïse Katumbi et Pascal Beveraggi
Moïse Katumbi : l'homme politique devenu acteur minier incontournable
Moïse Katumbi incarne une figure singulière du paysage politique et économique congolais. Ancien gouverneur du Katanga, cette province riche en ressources naturelles, il a construit son influence en combinant habilement engagement politique et activités économiques. Sa rupture avec Joseph Kabila en 2015 marque un tournant décisif dans sa trajectoire. Cette année-là, alors qu'il envisageait une campagne présidentielle, Katumbi prend la décision de céder sa société minière MCK à Necotrans pour un montant total de 140 millions de dollars, censé financer ses ambitions politiques. Cette transaction, qui semblait à l'époque purement stratégique, allait devenir le point de départ d'un contentieux judiciaire complexe qui s'étend sur plusieurs années et plusieurs juridictions.
Après trois années d'exil, Katumbi effectue son retour en RDC en mai 2019, déterminé à reprendre le contrôle de ses actifs miniers. Sa position d'opposant politique n'a jamais affaibli son ancrage dans le secteur économique congolais, particulièrement dans la région de Lubumbashi où son influence demeure considérable. La société Astalia Investment Ltd, gérée par son épouse, devient l'instrument juridique de sa reconquête du patrimoine de MCK. Cette structure lui permet de naviguer dans les méandres judiciaires tout en maintenant une distance formelle avec les procédures en cours, stratégie classique dans les affaires impliquant des personnalités politiques de premier plan.
Pascal Beveraggi : le stratège international aux multiples investissements miniers
Pascal Beveraggi représente une autre facette du capitalisme minier international en Afrique. Cet homme d'affaires français a construit son empire sur une présence diversifiée dans plusieurs pays du continent, du Burkina Faso à la Zambie, en passant par la Côte d'Ivoire, le Mali et le Gabon. Sa stratégie repose sur l'acquisition d'actifs miniers en situation de fragilité financière, qu'il restructure ensuite pour en maximiser la rentabilité. Cette approche opportuniste, bien que légale, soulève régulièrement des questions sur les conditions réelles de ces acquisitions et sur la transparence des montages financiers qui les accompagnent.
L'entrée de Beveraggi dans l'affaire MCK se produit en 2017, dans un contexte de difficultés financières pour Necotrans, l'acheteur initial. Lorsque les actifs de cette société sont placés en liquidation, Beveraggi saisit l'opportunité d'acquérir MCK, rebaptisée alors NB Mining. Cette acquisition s'inscrit dans sa logique d'expansion en Afrique centrale, région où les ressources en cuivre, or, lithium et manganèse représentent des opportunités considérables. Toutefois, cette transaction intervient dans des circonstances troubles, puisque sur les 140 millions de dollars du prix d'achat initial, Necotrans n'avait versé que 20 millions de dollars à Katumbi. Cette situation financière ambiguë devient le terreau d'une contestation juridique qui se déploie sur plusieurs fronts simultanément.
NB Mining : un acteur majeur du secteur minier congolais
La position stratégique de NB Mining dans l'exploitation minière en RDC
NB Mining occupe une place singulière dans l'écosystème minier congolais. Contrairement aux grandes compagnies d'extraction, cette entreprise se spécialise dans les services miniers, un segment souvent moins visible mais absolument essentiel au fonctionnement de l'industrie extractive. Basée à Lubumbashi, capitale économique du Katanga, et présente également à Kolwezi, autre ville minière stratégique, NB Mining fournit des prestations techniques et logistiques indispensables aux opérateurs miniers de la région. Cette position d'intermédiaire stratégique confère à l'entreprise une valeur qui dépasse largement ses actifs physiques : elle détient des contrats, des relations commerciales établies et une expertise locale difficilement remplaçable.
Le patrimoine de NB Mining comprend des infrastructures, des équipements spécialisés et surtout un réseau de relations avec les principaux acteurs du secteur minier congolais. Dans un environnement où la continuité opérationnelle et la connaissance des réalités locales constituent des avantages concurrentiels décisifs, contrôler une telle structure représente un atout majeur. Pour Katumbi, récupérer cette entreprise signifie retrouver une influence directe sur un secteur qu'il connaît intimement. Pour Beveraggi, conserver NB Mining permettrait de consolider sa présence dans une région où les opportunités minières continuent de croître, notamment avec l'augmentation du cours de l'or et l'intérêt croissant pour les métaux stratégiques comme le lithium.
Les ressources naturelles au cœur des convoitises minières
La République Démocratique du Congo concentre des réserves exceptionnelles en ressources naturelles. Le cuivre et le cobalt constituent les piliers traditionnels de l'industrie minière congolaise, mais l'émergence de nouveaux besoins liés à la transition énergétique mondiale a considérablement élargi le spectre des minéraux stratégiques. Le lithium, essentiel à la fabrication des batteries pour véhicules électriques, fait désormais l'objet d'une attention particulière, comme en témoignent les nouveaux permis d'exploration attribués en Côte d'Ivoire voisine. Le manganèse, utilisé dans la sidérurgie et les batteries, représente également un enjeu croissant, particulièrement au Gabon où la production peine à augmenter malgré la demande mondiale.
Cette richesse minérale transforme chaque bataille pour le contrôle d'actifs miniers en un enjeu géopolitique et économique de premier plan. L'intérêt manifesté par l'Arabie saoudite pour le cuivre zambien illustre comment les puissances émergentes cherchent à sécuriser leur approvisionnement en matières premières stratégiques. Dans ce contexte, contrôler une entreprise comme NB Mining offre un point d'entrée privilégié dans un secteur où la concurrence internationale s'intensifie. Les fusions d'entreprises aurifères en Côte d'Ivoire pour des montants atteignant 60 millions de dollars, ou les projets comme Kobada au Mali avec une production moyenne annuelle estimée à 162 000 onces d'or, témoignent de la vitalité et de l'attractivité du secteur minier africain.
Les manœuvres juridiques et financières dans la lutte pour le contrôle
Les batailles juridiques qui opposent Katumbi et Beveraggi
Le conflit pour le contrôle de NB Mining se déroule simultanément devant plusieurs juridictions, créant un enchevêtrement procédural d'une complexité rare. La chronologie des décisions révèle des contradictions apparentes qui alimentent les arguments de chaque camp. En 2018, la justice française annule la cession de MCK à Beveraggi, reconnaissant implicitement les irrégularités entourant cette transaction. Pourtant, dans le même temps, NB Mining est placée en liquidation en République Démocratique du Congo, ouvrant la voie à de nouvelles manœuvres juridiques. Cette situation illustre les difficultés inhérentes aux litiges transnationaux, où les systèmes juridiques nationaux peuvent produire des décisions divergentes sur un même dossier.
Le tournant décisif intervient en février 2020, lorsque la Cour de cassation française restitue à Moïse Katumbi ses droits sur MCK. Cette décision, qui représente le plus haut niveau de juridiction française, confère une légitimité juridique majeure aux prétentions de l'ancien gouverneur. Quelques mois plus tard, en septembre 2020, la justice congolaise ordonne la saisie des actifs de NB Mining Africa au profit d'Astalia, la société liée à Katumbi. Le tribunal de commerce de Kolwezi confirme cette orientation au début du même mois, permettant la reprise physique des locaux de l'entreprise à Lubumbashi. Les avocats de Beveraggi dénoncent immédiatement ce qu'ils qualifient de manipulation judiciaire, tandis que les conseils de Katumbi soulignent que la justice congolaise n'a fait qu'appliquer la décision de la Cour d'Appel de Paris.
Les alliances stratégiques et les montages financiers en jeu
Au-delà des procédures judiciaires, la bataille pour NB Mining révèle des stratégies financières sophistiquées. La cession initiale de MCK à Necotrans en 2015 prévoyait un paiement de 140 millions de dollars, mais seuls 20 millions ont effectivement été versés. Cette situation financière ambiguë crée une zone grise juridique dont chaque partie tente de tirer avantage. Pour Katumbi, le non-paiement intégral justifie la restitution de ses droits. Pour les acquéreurs successifs, notamment Beveraggi, la question se pose différemment : la liquidation de Necotrans et l'acquisition ultérieure constituent-elles une nouvelle transaction indépendante ou prolongent-elles la cession initiale défaillante.
Le montage impliquant Astalia Investment Ltd illustre les pratiques courantes dans les affaires minières africaines, où les structures off-shore et les holdings familiaux servent à protéger les actifs et à optimiser les montages juridiques et fiscaux. En septembre 2020, Pascal Beveraggi porte plainte contre Katumbi à Paris, cherchant à obtenir réparation devant les juridictions françaises tout en contestant la légalité des décisions congolaises. Cette double stratégie juridique, menée simultanément en France et en RDC, reflète la complexité des contentieux transnationaux dans le secteur minier. Les alliances politiques et économiques de chaque protagoniste jouent également un rôle déterminant : l'influence locale de Katumbi au Katanga contraste avec les réseaux internationaux de Beveraggi, créant un équilibre de pouvoir instable qui se reflète dans les décisions judiciaires successives.
Les répercussions sur le modèle minier africain et l'avenir de la RDC
L'influence de ce conflit sur la gouvernance minière en Afrique
L'affaire NB Mining dépasse largement le cadre d'un simple contentieux commercial pour toucher aux fondements de la gouvernance minière africaine. Elle soulève des questions essentielles sur la sécurité juridique des investissements, la transparence des transactions et l'équilibre entre souveraineté nationale et intérêts internationaux. La multiplication des décisions judiciaires contradictoires entre juridictions française et congolaise révèle les limites des mécanismes actuels de règlement des différends transnationaux. Pour les investisseurs internationaux, cette incertitude juridique constitue un facteur de risque majeur qui peut freiner les flux de capitaux vers le secteur minier africain. Paradoxalement, cette même incertitude peut aussi encourager des comportements opportunistes, certains acteurs pariant sur leur capacité à naviguer dans des environnements juridiques complexes.
Le cas de NB Mining illustre également la tension croissante entre élites politiques locales et investisseurs internationaux pour le contrôle des ressources stratégiques. La trajectoire de Katumbi, qui passe du statut de gouverneur à celui d'opposant exilé puis d'homme d'affaires reconquérant ses actifs, symbolise la porosité entre sphères politique et économique dans de nombreux pays africains. Cette configuration soulève des questions de gouvernance fondamentales : comment garantir que l'exploitation des ressources naturelles profite réellement aux populations locales tout en attirant les capitaux et l'expertise technique nécessaires au développement du secteur. Les réformes législatives en cours dans plusieurs pays africains, visant à accroître les revenus tirés de l'exploitation minière, s'inscrivent dans cette recherche d'équilibre entre attractivité pour les investisseurs et captation de la rente minière au profit des États.
Les conséquences pour l'économie congolaise et les investissements futurs
Pour la République Démocratique du Congo, l'issue de cette bataille revêt une importance stratégique qui va au-delà du sort d'une seule entreprise. Le secteur minier représente l'épine dorsale de l'économie congolaise, générant l'essentiel des recettes d'exportation et constituant un employeur majeur dans les provinces du Katanga et du Lualaba. La stabilité et la prévisibilité du cadre juridique applicable aux entreprises minières conditionnent directement la capacité du pays à attirer de nouveaux investissements dans un contexte de concurrence internationale accrue. Les projets d'exploration pour l'or et le lithium en Côte d'Ivoire, les acquisitions aurifères menées par des sociétés comme Dalaroo, ou encore les projets comme Kobada au Mali démontrent que les capitaux miniers disposent d'alternatives en Afrique de l'Ouest, région perçue comme offrant parfois une meilleure sécurité juridique.
L'évolution des cours internationaux constitue un autre facteur déterminant pour l'avenir du secteur minier congolais. La hausse du cours de l'or crée des opportunités pour les producteurs du Burkina Faso et d'autres pays de la région, tandis que l'intérêt renouvelé pour le cuivre, notamment de la part de puissances comme l'Arabie saoudite, offre des perspectives favorables pour la RDC et la Zambie voisine. Les défis pour l'augmentation de la production de manganèse au Gabon rappellent toutefois que disposer de ressources abondantes ne suffit pas : les infrastructures, la stabilité politique et la qualité de la gouvernance déterminent la capacité effective à transformer le potentiel géologique en croissance économique réelle. Pour la RDC, l'enjeu consiste à capitaliser sur ses ressources exceptionnelles tout en construisant un cadre institutionnel crédible qui rassure les investisseurs sans sacrifier les intérêts nationaux. La résolution de l'affaire NB Mining, quelle qu'elle soit, enverra un signal puissant aux acteurs économiques internationaux sur la manière dont le Congo entend gérer cette équation complexe entre attraction des capitaux étrangers et affirmation de sa souveraineté économique.